Ad Reinhardt, L’art-en-tant-qu’art
La seule chose à dire sur l’art est que c’est une chose. L’art est l’art-en-tant-qu’art et tout autre chose est tout autre chose. L’art-en-tant-qu’art n’est rien d’autre que de l’art. L’art n’est pas ce qui n’est pas l’art.
Le seul objet de cinquante années d’art abstrait est de présenter l’art-en-tant-qu’art et, comme nulle autre chose, de le faire dans la seule chose qu’elle est seulement, la séparant et la définissant de plus en plus, la rendant plus pure et plus vide, plus absolue et plus exclusive – non objective, non représentationnelle, non figurative, non imagiste, non expressionniste, non subjective. La seule et unique manière de dire ce que l’art abstrait ou l’art-en-tant-qu’art est, est de dire ce qu’il n’est pas.
Le seul sujet de centaines d’années d’art moderne est cette conscience de l’art en lui-même, d’un art préoccupé par ses processus et significations propres, avec son identité et distinction propres, un art intéressé par sa propre unique formulation, un art conscient de son évolution et de son histoire et de sa destinée propres, envers sa liberté propre, sa dignité propre, son essence propre, sa raison propre, sa morale propre et sa conscience propre. L’art n’a pas besoin d’être justifié par le « réalisme », le « régionalisme » ou par le « nationalisme », « l’individualisme » ou par le « socialisme » ou par le « mysticisme » ou par toute autre idée.
Le seul contenu de trois siècles d’art européen ou asiatique et la seule thématique de trois millénaires d’art occidental ou oriental, est la même « signification unique » qui court à travers l’art intemporel mondial. Sans la continuité de l’art-en-tant-qu’art et la conviction et l’esprit artistique immuable et le point de vue abstrait du but-de-l’art-pour-l’art, l’art serait inaccessible et « la seule chose » serait complètement secrète.
La seule idée de l’art comme « beau », « élevé », « noble », « libéral, « idéal » au 17ième siècle est fait pour séparer les beaux-arts et les arts intellectuels des arts manuels et de l’artisanat. L’unique intention du mot « esthétique » au dix-huitième siècle est d’isoler l’expérience de l’art des autres choses. L’unique déclaration de tous les principaux mouvements de l’art du dix-neuvième siècle est celle de « l’indépendance » de l’art. L’unique question, l’unique principe, l’unique crise dans l’art du vingtième siècle est centrée sur la « pureté » sans compromission de l’art et dans la conscience que l’art provient seulement de l’art, de nulle autre chose.
La seule signification dans l’art-en-tant-qu’art, passé ou présent, est la signification artistique. Quand un objet d’art est détaché de son temps, de son lieu originel et de son utilisation et est déplacé dans un musée d’art, il se vide et se purifie de toutes ses significations exceptée une. Un objet religieux qui devient une œuvre d’art dans un musée d’art perd toutes ses significations religieuses. Aucune personne saine d’esprit ne va dans un musée pour adorer autre chose que de l’art ou pour étudier quelque chose d’autre.
Le seul lieu pour l’art-en-tant-qu’art est le musée des beaux-arts. Le musée des beaux-arts n’existe que pour la préservation de l’art ancien et moderne qui ne peut être fait de nouveau et qui ne doit plus être fait de nouveau. Un musée des beaux-arts devrait exclure tout ce qui n’est pas l’art et être séparé des musées d’ethnologie, de géologie, d’archéologie, d’histoire, des arts décoratifs, des arts industriels, des arts militaires et des musées d’autres choses. Un musée est une cache à trésor et une tombe, pas un bureau de vote ou un parc d’attraction. Un musée qui devient le monument personnel d’un conservateur ou une institution-sanctificatrice-d’un-collectionneur ou une plante fabriquée par l’histoire-de-l’art ou le quartier d’affaires d’un artiste est une honte. Tout dérangement de la vraie mutité, de l’intemporalité, de l’inatmosphéricité et de l’invitalité du musée est irrespectueux.
Le seul but de l’université académique de l’art est l’éducation et la « mise au point de l’artiste »-en-tant qu’artiste, pas « l’édification du public » ou la popularisation de l’art. Le collège artistique devrait être un cloître-et-hall-de-lierre-et-tour-d’ivoire-et-communauté-d’artistes, une union, un congrès et un club d’artistes, pas une école à succès ou une station service ou une maison de repos ou une maison pour les artistes en mal de gloire. L’idée que l’art ou qu’un musée d’art ou qu’une école d’art « enrichisse la vie » ou « stimule l’amour de la vie » ou « promeut la compréhension et l’amour parmi les hommes » est aussi stupide que quoi que ce soit dans l’art puisse être. N’importe quelle personne qui parle d’utiliser l’art pour servir une cause locale, nationale ou internationale a perdu la raison.
La seule chose à dire à propos de l’art et de la vie est que l’art c’est l’art et que la vie c’est la vie, que l’art n’est pas la vie et que la vie n’est pas l’art. Un art en « tranches de vie » n’est ni mieux, ni moins bien qu’une vie en « tranches d’art ». Les beaux-arts ne sont pas un « moyen pour construire une vie » ou une « manière de vivre une vie » et un artiste qui consacre sa vie à son art ou son art à sa vie encombre son art avec sa vie et sa vie avec son art. L’art qui s’occupe de la vie et de la mort n’est ni beau ni libre.
La seule attaque contre les beaux-arts est la tentative incessante de l’asservir comme un moyen pour quelque autre fin ou valeur. L’unique combat en art n’est pas entre l’art et le non-art, mais entre l’art vrai ou faux, entre l’art pur et l’art d’action-assemblage, entre l’art abstrait et l’anti-art surréaliste-expressionniste, entre l’art libre et l’art servile. L’art abstrait a sa propre intégrité, n’est pas « l’intégration » de quelqu’un d’autre avec quelque chose d’autre. Chaque combinaison, mélange, addition, dilution, exploitation, vulgarisation ou popularisation de l’art abstrait prive l’art de son essence et appauvrit la conscience artistique de l’artiste. L’art est libre mais n’est pas libre d’être un foutoir.
La seule lutte pour l’art est la lutte des artistes contre les artistes, de l’artiste contre l’artiste, de l’artiste-en-tant-qu’artiste avec et contre les artistes-en-tant-qu’hommes, -animaux, ou -végétaux. Les artistes qui clament que leur travail artistique vient de la nature, de la vie, de la réalité, de la terre ou du ciel, comme « miroirs de l’âme » ou « reflets des conditions » ou « instruments de l’univers », qui inventent des figures « de nouvelles images de l’homme » et dépeignent la « nature-en-abstraction » sont, subjectivement ou objectivement, des canailles ou des rustauds. L’art de « figurer » ou de « dépeindre » n’est pas les beaux-arts. Un artiste qui se promeut comme une « créature des circonstances » ou se soumet en une « victime du destin » n’est pas un maître des beaux-arts. Personne ne force un artiste à être pur.
Le seul art qui est assez abstrait et pur pour avoir la possibilité de résoudre, maintenant et éternellement, le « seul et unique grand problème originel » est la peinture abstraite pure. La peinture abstraite n’est pas seulement un autre mouvement ou école ou style mais la première peinture véritablement non maniérée et non entravée et non empêtrée, sans style et universelle. Aucun autre art ni peinture n’est assez détaché ou vide ou immatériel.
La seule histoire de la peinture va de la peinture d’une diversité d’idées avec une diversité de sujets et d’objets, à celle d’une idée unique avec une diversité de sujets et d’objets, à un sujet unique avec une diversité d’objets, à un objet unique avec une diversité de sujets puis à un objet unique avec un sujet unique, à un objet unique sans sujet, et à un sujet unique sans objet puis à l’idée d’aucun objet et d’aucun sujet et avec strictement aucune diversité. Il n’y a rien de moins significatif en art, rien de plus épuisant et qui ne s’épuise immédiatement que la « diversité sans fin ».
La seule évolution des formes artistiques se déploie dans une ligne logique unique d’actions et de réactions négatives, dans un cercle stylistique, prédestiné et éternellement récurent, dans le même motif total, dans tous les temps et lieux, prenant un temps différent à différents endroits, commençant toujours avec une schématisation « primitive », s’achevant en apothéose avec une formulation « classique » et se délabrant en une variété sans fin d’expressionnismes et d’illusionnismes « tardifs ». Quand les dernières étapes nettoient toutes les lignes de démarcations, cadres et structures avec « tout peut devenir de l’art » ou « tout le monde peut être artiste », « c’est la vie », « pourquoi le combattre », « ça roule » et « cela ne fait aucune différence si l’art est abstrait ou figuratif », le monde des artistes devient un marché de l’art primitif et maniériste, un suicide-vaudeville vénal, méprisable et insignifiant.
La seule voie en art provient du travail artistique et plus un artiste travaille, plus il y a à faire. Les artistes naissent des artistes, les formes artistiques naissent des formes artistiques, la peinture naît de la peinture. L’unique direction dans les beaux-arts ou l’art abstrait aujourd’hui est la peinture d’une même et unique forme encore et encore. L’unique intensité et l’unique perfection viennent d’une préparation, d’une attention et d’une répétition routinières, longues et solitaires. L’unique originalité existe seulement quand tous les artistes travaillent dans la même tradition et dominent la même convention. L’unique liberté est atteinte seulement à travers la discipline artistique la plus stricte et à travers le rituel le plus similaire de l’atelier. Seule une forme standardisée, prescrite et proscrite peut être sans image, seule une image stéréotypée peut être sans forme, seul un art formulaire peut être sans formule. Un peintre qui ne sait pas quoi, comment et où peindre n’est pas un artiste.
Le seul travail d’un artiste, l’unique peinture, est la peinture d’un toile au format unique – le seul schème, une proposition formelle, une couleur-monochrome, une division linéaire dans chaque direction, une symétrie, une texture, une touche à main levée, un rythme, un travail de tout dans une dissolution et une indivision, chaque peinture dans une uniformité et une non-irrégularité totale. Aucune ligne ou élucubration, aucune forme ou composition ou représentation, aucune vision ou sensations ou pulsions, aucun symbole ou signe ou d’empâtement, aucune décoration ou coloration ou évocation, aucun plaisir ou souffrance, aucun accident ou ready-made, aucune chose, aucune idée, aucune relation, aucun attribut, aucune qualité – rien qui ne soit l’essence. Chaque chose dans l’irréductibilité, l’irreproductibilité, l’imperceptibilité. Rien « d’utilisable », de « manipulable », de « vendable », de « commercialisable », de « collectionnable », « d’attrapable ». Pas d’art comme une marchandise ou un trafic. L’art n’est pas la face spirituelle du business.
La seule norme en art est l’unicité et l’excellence, la droiture et la pureté, l’abstractivité et l’évanescence. L’unique chose à dire à propos de l’art est qu’il est sans respiration, sans vie, sans mort, sans contenu, sans forme, sans espace et sans temps. C’est toujours la fin de l’art.
Texte publié dans Art International en décembre 1962.
Quante cose belle si scoprono cercando notizie su Diego de Silva…Complimenti!
bello.
immagino che l’originale sia in inglese.
Cher Eric,
c’est grâce à toi que j’ai découvert, dans un numéro de la revue “If”, l’oeuvre d’Ad Reinhardt. Aujourd’hui, j’en apprécie tout autant le travail visuel que, c’est le cas ici, les remarquables qualités d’écriture.
Le dernier paragraphe (“la seule norme en art…”) est éblouissant de clarté et de délire.
Merci encore.
Très sincèrement à toi,
Bella provocazione.
peccato non sia in italiano (o almeno in inglese) – gli farei le pulci!
fare le pulci a questo testo è abbastanza inutile, secondo me, perché è del ’62 e perché praticamente reinhard si apre la camicia, mostra il petto e grida: sparatemi.
se fossi nel ’62 sotto-scriverei ogni parola.
ma la freccia del tempo non risparmia nessuno.
Désolé, le texte est en français parce que j’écris en français et que j’ai aimé en faire la traduction. Le texte en anglais est disponible dans Ad Reinhardt, selected essays.
Pour le donner en anglais, il faudrait que je le recopie et j’ai vraiment la flemme.
Cercando inutilmente una traduzione di tale testo in rete, mi sono imbattuto in questo interessante saggio [ http://www.hackerart.org/media/amc/pedrini.htm ] dal quale isolo qualche frammento che mi sembra ben collegato con certe nostre recenti discussioni ed anche con Ad Reinhardt.
> Il nostro punto di vista sarà quello di fondare sulla stutturalità delle conoscenze della fisica teorica la frontiera di corroborazione capace, non di spiegare, ma di attestare la pertinenza dell’opera d’arte al momento storico-culturale che le ha prodotte.
Mi pare sia la stessa impostazione – arte come metaforizzazione della scienza – delineata da Eco in “opera aperta” (che sto spizzicando con un certo piacere proprio in questi giorni). Io non mi oppongo a questa visione – si tratta di cose che mi precedono e mi sopravviveranno, però rimarcherei, come sua conseguenza, l’obiettiva chiusura di molti “spazi del possibile” per l’arte stessa: se l’arte non è legata più a coordinazioni inconsce da acquisirsi attraverso l’affinamento tecnico e l’esplorazione, ma principalmente alla possibilità iper-puntuale di delirare (metaforizzare) sulle mode scientifiche o culturali del momento, allora è chiaro che se non ti trovi ad operare in determinati micro-contesti iper-esclusivi, non c’è proprio “niente da fare”, ammettiamolo, aldilà di tutti i possibili “premi di consolazione”.
Rilevo quindi una grave contraddizione interna in tutto questo discorso, che si evidenzia anche in questa peraltro condivisibilissa formulazione:
> Le scienze non possono essere separate dall’avventura umana. “Dove il mondo cessa di essere il palcoscenico delle nostre speranze e dei nostri desideri per divenire l’oggetto della libera curiosità e della contemplazione – come dice Einstein – là iniziano arte e scienza”. Se cerchiamo di descrivere la nostra esperienza all’interno degli schemi della logica, entriamo nel mondo della scienza; se invece le relazioni che intercorrono tra le forme della nostra rappresentazione sfuggono alla comprensione razionale e purtuttavia manifestano intuitivamente il loro significato, entriamo nel mondo della creazione artistica. Ciò che accomuna i due mondi è l’aspirazione a qualcosa di non arbitrario, di universale.
Il problema sta appunto nel qualcosa di “non arbitrario”. Le narrative dominanti mostrano a mio parere una sontuosa arbitrarietà, laddove relazioni amorose, sbronze, ricatti, finanziamenti della CIA vanno a determinare i caposaldi che saranno attraversati dalle dotte (e un po’ servili) interpolazioni dapprima dei critici e più tardi, a vincitori decretati, degli studiosi.
Insomma, mentre ci godiamo una splendida “grande narrativa”, cioé un racconto collettivo determinato a proiettare un “senso” importante sopra vicende che viste da vicino appaiono assai caotiche, non dovremmo lasciarci sfuggire il costo che una credenza troppo assoluta (ovvero l’abdicazione totale dell’arte nelle mani di determinate fazioni che attualmente l’amministrano) in questo racconto comporterebbe, e che sintetizzo con le parole di Yves Michaud [per un quadro più completo vedi http://www.arteadesso.org/tf/numeri/1/michaud.htm ]:
>In altri termini, si ha l’impressione strana che l’arte contemporanea lavori senza tregua ma sottilmente per rendere ermetico l’accesso a esperienze tutto sommato banali e tanto comuni, come stringere la mano a qualcuno, fare l’elemosina a un mendicante, scambiare uno sguardo con una bella donna, guardare nel vuoto, annoiarsi o essere presi da un riso comunicativo perché nervoso. Se c’è un caso dove il meccanismo burdivista (con buona pace di Bourdieu e della sua collerica anima materialista !) della distinzione opera pienamente, è quello dell’arte contemporanea: esperienze molto vicine vengono differenziate per ragioni di distinzione. Ci sono gli iniziati e poi gli altri. Tutta la sottigliezza della faccenda consiste nel fatto che il segreto della rassomiglianza sia ben custodito, che il pubblico comune resti nel comune e il pubblico iniziato nell’iniziazione. Si finirebbe quasi per capire come sia di colpo inutile cercare di stabilire una relazione con il grande pubblico: ciò equivarrebbe a confessare che il re è nudo o che i soggetti sono vestiti con ornamenti regali, che la relazione in effetti esiste già perfettamente, ma che l’essenziale è soprattutto di non saperlo.
mhm..nessuno che commenti..mi lasciano a parlar da solo, come i matti. forse non hanno colto il mio punto, o forse quel punto non esiste: forse è una fata morgana che vedo soltanto io. però insomma, l’articolo di Michaud è divertente, potrebbero dire qualcosa almeno su quello, sarebbe un buon punto di partenza..mumble mumble..
Je suis étudiant en art et j’ai justement ce texte à expliquer…
Pourriez-vous m’aider???
Merci beaucoup
Bonjour,
Je cherche désespérément les reférance de ce texte (l’auteur, maois de publication..) Je vous remercie par avance si vous pouvez éclairer ma lanterne !!
Hervé.